Avez-vous jamais vu la mer morte ? La mer ne meurt pas pourtant. Quelque part sur terre, il y a une mer que l’on appelle la Mer Morte. Mais ce sont des balivernes, elle n’est pas morte, la preuve, si l’on frappe dedans, il y a des vagues. La mer est vivante, latente parfois, inhabitée d’autres, mais toujours vivante. Sauf sur Kinoto.
Bizarrement je me sentais bien malgré la mer morte. Sur Kinoto la mer ne vie pas. Elle ne bouge pas, ce n’est qu’un très gros bloc de glace. Comme si le froid avait tué la mer. La mer ne me rappelle rien, ni quand elle semble s’être solidifiée sur des siècles et des siècles et des dizaines de siècles, ni quand les vagues sont figées en plein ciel, en plein envol, lancées comme des butoirs sur la terre au supplice. Non cette mer figée ne me rappelle rien, pas le moindre souvenir. Pourtant je suis Alchimiste, il n’y a que sur Kinoto que vivent les Alchimistes.
Mais en même temps, ma chemise est loin de me protéger du froid. Est-ce que c’est un signe ? Une habitude au froid relative à ma naissance ici ? On dit que quand quelqu’un nait, il peut contrôler un élément relatif à son environnement d’origine. Enfin quelques personnes, une minorité significative. Peut-être que je me faisais juste des idées, qu’il s’agissait simplement d’une défaillance de mes nerfs ou une maladie.
Quoi qu’il en soit, la mer était morte et figée, la mer de glace de Kinoto, et moi je la regardais. En souriant. Quand pour la dernière fois avais-je souri ? Vraiment souri, de joie ? Je ne m’en rappelais plus. Je repoussais mes cheveux derrière mon crâne. Depuis un mois que j’étais là, je ne les avais pas coupés. Ils formaient une toison épaisse et indisciplinée, mais je m’en fichais.
J’avais entendu parler d’une alchimiste particulièrement douée sur cette planète. Bien sûr, chercher un alchimiste sur Kinoto revenait à chercher une aiguille dans une meute de foin, cependant j’avais bon espoir.
Peut-être qu’elle saurait quelque chose sur la pierre philosophale susceptible de m’aider. Quelque chose sur ce cercle qui aspirait les vies et dont je n’avais aucune idée du fonctionnement, qui était gravé sur ma poitrine.
Mon sourire passé, je me relevai et retournai à ma cabane, qui se dressait non loin de là où j’étais, dans une crique gelée où la mer semblait s’être figée en pleine tempête. Une bise réfrigérante se leva et m’apporta une odeur inconnue. Une odeur humaine…Il y avait quelqu’un d’autre pas loin…